L’Echinococcose Cystique (EC) ou Hydatique, appelée aussi hydatidose, est une pathologie cosmopolite qui pose un problème majeur de santé publique dans des régions endémiques comme l’Amérique du sud, l’Asie, l’Afrique et l’est de l’Europe, en y entraînant une morbi-mortalité importante. Le foie est l’organe le plus souvent atteint mais la symptomatologie est la plupart du temps inexistante, expliquant pourquoi le diagnostic est généralement fortuit et la découverte de l’affection tardive.
En Belgique cette maladie est peu présente, et est essentiellement retrouvée dans la population provenant de zones endémiques. L’Institut Scientifique de Santé Publique (ISP) belge rapporte douze nouveaux cas confirmés d’EC en 2013 et en 2014. Néanmoins, étant donné l’importance des flux d’immigration en Europe et les caractéristiques de cette maladie généralement peu ou pas symptomatique avec une incubation très lente, il est légitime de penser que la prévalence de l’EC est largement sous-estimée.
Le cycle évolutif de l’EC comprend les intermédiaires suivants : un hôte définitif, le chien le plus souvent, ou d’autres canidés ; un hôte intermédiaire, le plus fréquemment le mouton, parfois une autre espèce ongulée (chèvre, cheval, porc, bovins, etc.). L’homme est un hôte accidentel de E granulosus. Les ténias adultes sont présents au niveau de l’intestin grêle de l’hôte définitif et peuvent produire des centaines d’œufs qui contiennent chacun un embryon appelé oncosphère. Les œufs sont évacués lors de la défécation et vont être répandus dans la nature. L’hôte intermédiaires’infecte en ingérant ces œufs présents sur le sol contaminé. Il s’ensuit alors le stade larvaire des parasites. Dans l’intestin de l’hôte intermédiaire, les oncosphères vont éclore, envahir la muqueuse intestinale et, par voie hématogène ou lymphatique, se diriger vers le foie le plus souvent. L’hôte définitif se contamine en ingérant les viscères de l’hôte intermédiaire contaminé.
L’homme se contamine par voie féco-orale, via l’ingestion d’œufs de parasites présents sur les sols ou les aliments souillés à partir des fèces de chiens infectés, ou encore en ingérant les œufs parfois présents au niveau du pelage des canidés.
La phase initiale de la maladie est toujours asymptomatique. Certains patients s’infectent durant l’enfance avec des manifestations cliniques qui apparaissent (ou pas) à l’âge adulte. Une croissance kystique très lente explique cette absence fréquente de symptômes. La découverte est donc très fréquemment fortuite chez des patients asymptomatiques ou bien constatée à l’autopsie. Lorsque la maladie devient symptomatique, la présentation clinique est le plus souvent fonction de la taille et du site du kyste. Le principal organe atteint (dans deux tiers des cas) est le foie. Des kystes hydatiques peuvent également être retrouvés au niveau des poumons dans un quart des cas approximativement. Plus rarement, ils peuvent atteindre le cerveau, les os, les reins, le pancréas, les muscles, les yeux, la rate et le cœur. La majorité des cas ne concerne qu’un seul organe mais des atteintes multi-organes ont été décrites. En cas d’atteinte hépatique, les manifestations cliniques peuvent être une hépatomégalie associée ou non à une gêne voire une douleur du quadrant supérieur droit de l’abdomen, ou des symptômes plus aspécifiques comme une perte d’appétit, une altération de l’état général, des nausées et des vomissements.
L’apparition de symptômes peut aussi résulter d’une complication. Ces complications peuvent être : (a) une obstruction portale ou des veines hépatiques, des canaux biliaires ou de la veine cave inférieure pouvant entraîner une hypertension portale, une obstruction veineuse, une cholestase ou un syndrome de Budd-Chiari ; (b) une rupture du kyste au sein des voies biliaires pouvant causer une cholangite, un ictère obstructif ou encore une pancréatite ; (c) une surinfection bactérienne du kyste conduisant à un abcès hépatique ; (d) une rupture intra-péritonéale du kyste pouvant entrainer une péritonite voire un choc anaphylactique. En cas de rupture spontanée ou traumatique du kyste entraînant la libération des petits kystes ou de protoscolex, on parle d’échinococcose cystique secondaire aboutissant à la formation d’un kyste plus volumineux d’évolution souvent très rapide.
Le diagnostic d’EC est essentiellement basé sur l’imagerie et la sérologie. L’échographie est l’imagerie la plus utilisée étant donné sa simplicité et son coût très abordable, caractéristiques déterminantes car cette maladie est souvent rencontrée dans des pays en voie de développement. Par ailleurs, la sensibilité et la spécificité de l’échographie sont excellentes avec des valeurs de 88-98% et 93-100%, respectivement. C’est sur base de l’échographie qu’est basée la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2001). L’échographie permet également un suivi de la lésion après traitement. Plus fréquemment, dans les pays développés, l’échographie sera complétée par un scanner et/ou une IRM. Le scanner permet d’obtenir une vision anatomique plus précise de la lésion et est plus adapté pour évaluer les complications comme des ruptures de kystes et des compressions d’organes avoisinants. L’IRM semble encore plus précise que le scanner dans la délimitation de la lésion par rapport aux voies biliaires et apparaît être le meilleur examen à la fois pré- et post-opératoire.
La sérologie complète et/ou confirme le diagnostic radiologique et est utilisée dans le suivi du traitement. En première intention, les tests sérologiques peuvent se faire par la technique ELISA ainsi que par le test d’hémagglutination indirecte. La sensibilité de ces tests en cas de kyste hépatique est comprise entre 85 et 98%. En effet la réponse immunitaire peut varier d’un individu à l’autre et est fonction de l’état du kyste (indemne, fistulisé ou rompu) et de sa localisation. Une sérologie négative ne peut donc formellement exclure le diagnostic d’échinococcose. En outre, la spécificité de ces tests est limitée (faux positifs dus à des réactions croisées avec d’autres parasites, tumeurs ou cirrhose) et, en cas de doute, des tests de confirmation doivent être utilisés.
Les résultats de la biologie sanguine ne sont pas spécifiques. On peut retrouver une thrombocytopénie ou une leucopénie aspécifique de même qu’une éosinophilie modérée et une altération des tests hépatiques. En cas de rupture du kyste dans les voies biliaires, une hyperbilirubinémie, une majoration des phosphatases alcalines et des g-GT peuvent être retrouvées également. En cas de diagnostic radiologique ou sérologique douteux, une biopsie à l’aiguille peut être envisagée. Celle-ci doit rester exceptionnelle vu le risque de choc anaphylactique et d’échinococcose secondaire. Si cette ponction a lieu, un traitement à base d’Albendazole 4 jours avant et minimum 1 mois après celle-ci est recommandé.
Les possibilités thérapeutiques sont variables. Elles comprennent la chirurgie, le traitement percutané, le traitement médical et l’observation. Il n’y a pas à l’heure actuelle de consensus de prise en charge clairement établi car aucune étude clinique randomisée n’a jamais pu être effectuée. Néanmoins, l’OMS préconise de se baser sur sa classification échographique pour orienter le traitement. Le traitement chirurgical est préconisé dans les kystes compliqués (fistule biliaire, compression de structure vitale, rupture, kyste infecté secondairement ou hémorragique), dans les kystes contenant des kystes filles, les kystes menaçant de se rompre, les kystes extrahépatiques, les kystes de plus de 10 cm et en cas de traitement percutané impossible. Afin de diminuer le risque d’ensemencement dans la cavité abdominale par les protoscolex et donc le risque d’échinococcose cystique secondaire, un traitement néo-adjuvant par Albendazole est indiqué. Il est donné entre 4 et 30 jours avant l’opération et minimum 1 mois après. La technique chirurgicale peut être conservatrice; elle consiste dans ce cas à enlever le contenu du kyste, stériliser l’intérieur avec des « agents protoscolicides » (salin hypertonique, Albendazole, Praziquantel ou Ivermectin pendant 15 minutes) et ensuite, soit à enlever le kyste avec la membrane périkystique, soit à laisser la membrane périkystique. On retrouve dans la littérature l’indication de meilleurs résultats, en cas de chirurgie conservatrice, lorsque la résection est associée à une omentoplastie. La chirurgie peut être radicale, et dans ce cas il s’agit d’enlever l’entièreté du kyste avec sa membrane périkystique, voire parfois de réaliser une hépatectomie partielle. Il est impératif d’éviter un déversement intra-abdominal du contenu kystique car il existe un risque important de choc anaphylactique et d’échinococcose secondaire. Si cette situation était rencontrée, il est conseillé de procéder à un lavage péritonéal au sérum salé hypertonique. Il faut ensuite traiter le patient par Albendazole pour une durée de 3 à 6 mois associé à 7 jours de Praziquantel. La laparoscopie peut être utilisée dans certains cas.Les complications chirurgicales décrites sont l’infection secondaire, la fistule biliaire, la cholangite sclérosante secondaire, l’abcès intra-abdominal, l’échinococcose cystique secondaire et le choc anaphylactique. Le risque de récidive est compris entre 2 et 45 % et varie selon la taille du kyste, sa localisation, ou encore l’expérience du chirurgien.
Il en existe 2 types de traitement percutané de l’EC: la technique PAIR et le cathétérisme du kyste. Le traitement PAIR (pour les initiales des mots anglais : « puncture, aspiration, injection, and reaspiration »)a pour but de détériorer la membrane germinale à l’aide d’un agent protoscolicide. Grâce à l’aspiration du kyste on pourra mettre en évidence, par analyse extemporanée, la présence de protoscolex. Ensuite, le produit est injecté puis ré-aspiré après 15 minutes pour déterminer l’éventuelle persistance de protoscolex. Si ceux-ci persistent, une nouvelle injection est réalisée et ainsi de suite. Il est également indiqué de l’associer à un traitement par Albendazole (4 à 10 jours avant et 1 mois après) ou par Mebendazole(4 à 10 jours avant et 3 mois après). Les complications sont les mêmes que celles décrites ci-dessus pour le traitement chirurgical mais cette technique présente l’avantage d’être moins invasive. Lors d’un traitement PAIR, la cholangite slérosante secondaire est à craindre en cas de communication du kyste avec les voies biliaires. On préconise donc parfois une cholangiographie pour s’assurer de l’intégrité de l’arbre biliaire, et de doser la bilirubine dans le liquide ponctionné. La 2èmetechnique qui est le cathétérisme du kyste, peut être réalisée pour les formes CE2 et CE3b contenant des kystes filles. Celui-ci consiste en l’évacuation du contenu du kyste au moyen de divers cathéters assez larges.
Le traitement médical comprend l’utilisation de médicaments antiparasitaires de type antihelminthiques de la classe des benzimidazolés. Il sera administré soit seul, soit comme traitement (néo)adjuvant aux autres techniques. Lorsqu’il est associé à la chirurgie ou au traitement percutané, il est recommandé de le donner 4 à 30 jours avant le geste et de le poursuivre 1 mois après. On distingue 2 médicaments : l’Albendazole qui doit être donné à raison de 10-15 mg/kg/j en 2 prises per os en mangeant (le plus souvent 400 mg deux fois par jour) et le Mebendazole qui est moins bien absorbé et qui doit être donné plus longtemps et à plus forte dose soit 40-50 mg/kg/j en 3 prises orales. Lorsqu’un traitement médical seul est l’option choisie, il est conseillé de privilégier l’Albendazole pour une durée de 3 à 6 mois sans interruption. En cas d’utilisation néo-adjuvante, l’Albendazole permet de ramollir le kyste et donc de faciliter son extraction et de diminuer le risque de récurrence en inactivant les protoscolex. Les effets secondaires décrits comprennent hépato-toxicité (surtout), alopécie, cytopénie, vomissements, céphalées et vertiges. Ces médicaments sont contre-indiqués en cas d’aplasie médullaire, de maladie hépatique sous-jacente ou de grossesse. Un monitoring du taux sanguin d’Albendazole, de la formule hémato-leucocytaire ainsi que de la fonction hépatique est préconisé. En cas de majoration à plus de 500% des transaminases, le traitement doit être arrêté et un traitement alternatif mis en place.
On ne retrouve pas dans la littérature de protocole de surveillance clairement établi. Le suivi se fait essentiellement par échographie (ou autres techniques d’imagerie si disponibles) car la sérologie suit une cinétique très variable et peut rester élevée pendant des années après le traitement. De plus, en fonction des tests utilisés, la cinétique sera variable.
L’EC étant une zoonose dont les hôtes définitifs et intermédiaires sont des animaux domestiques, sa propagation pourrait donc être mieux maîtrisée dans les pays endémique. La sensibilisation du grand public au moyen de campagnes d’information, la vermifugation du chien, le perfectionnement de l’hygiène lors de l’abattage et enfin l’abattage systématique de moutons séniles sont des mesures prophylactiques raisonnables et facilement opérationnelles. Actuellement, un vaccin pour les moutons et autres bovins est à l’étude. Plusieurs pays, en collaboration avec l’OMS, entreprennent diverses actions afin de contenir l’EC, voire de l’éradiquer.
Bien que la Belgique ne se situe pas en zone endémique, la présence de populations originaires de pays plus touchés impose aux cliniciens belges la connaissance de cette maladie, dont la prévalence est certainement sous-estimée. Dans cette optique, il serait utile d’établir un protocole clair de prise en charge en Belgique afin d’uniformiser et d’optimaliser le traitement de cette maladie dont les complications peuvent s’avérer fatales.